La bataille de Cambrai : premier choc des chars

Comprendre le contexte, le déroulement et l’impact d’un affrontement majeur de la Première Guerre mondiale.

Char immobilisé au bord d’une tranchée à Cambrai
Char britannique Mark IV près d’une tranchée allemande durant la bataille.

Un front qui semble immobile

Lorsque l’année 1917 s’ouvre, la Première Guerre mondiale s’enlise. Depuis plus de trois ans, les belligérants se font face de part et d’autre de tranchées qui sillonnent la France et la Belgique sur des centaines de kilomètres. Les offensives de Verdun, de la Somme et du Chemin des Dames ont coûté des centaines de milliers de vies sans apporter de percée décisive. Dans ce contexte, le commandement britannique cherche des moyens nouveaux pour sortir de l’impasse. L’idée d’utiliser massivement des chars d’assaut naît de l’observation de leurs premiers engagements : ces engins de fer et de chenilles peuvent franchir les barbelés et les trous d’obus, écrasant les défenses adverses. Encore faut‑il les employer de manière coordonnée avec l’artillerie et l’infanterie.

Cambrai, située au sud‑est d’Arras, est identifiée comme un secteur à la fois vital et relativement moins défendu. La ville constitue un nœud logistique pour l’armée allemande, et sa capture pourrait menacer la ligne Hindenburg. Les plaines légèrement vallonnées alentour offrent un terrain propice au déplacement des chars. Les Britanniques y concentrent près de 476 chars Mark IV, soutenus par des unités d’infanterie et d’artillerie. Pour préparer l’attaque, l’artillerie adopte une technique inédite : les tirs sont préalablement calculés, sans bombardements prolongés, afin de préserver l’effet de surprise. Les aviateurs doivent quant à eux neutraliser l’aviation ennemie et repérer les déplacements adverses.

La population cambrésienne vit alors sous occupation allemande. Depuis 1914, la ville est transformée en dépôt et en quartier général. Les habitants souffrent des réquisitions et des privations. Beaucoup ont été expulsés ou ont fui, mais ceux qui restent observent avec inquiétude l’accumulation de troupes et de matériel dans les faubourgs. Ils ignorent encore qu’un événement inédit va bientôt se dérouler à leurs portes et résonnera dans toute l’Europe. La tension monte lorsque, le 20 novembre 1917, avant l’aube, un grondement sourd se fait entendre dans les plaines : les chars se mettent en mouvement.

Le déroulement de l’offensive

À 6 h 20 du matin, le 20 novembre 1917, l’offensive est lancée. Les chars d’assaut avancent en vagues compactes, précédés par un barrage roulant d’artillerie qui progresse méthodiquement à intervalles réguliers. Les défenses allemandes, surprises par l’attaque soudaine et le nombre d’engins blindés, cèdent sur plusieurs kilomètres. Les Mark IV écrasent les réseaux de barbelés et franchissent les tranchées, permettant à l’infanterie de suivre sans être clouée au sol par le feu des mitrailleuses. À certains endroits, les soldats anglais pénètrent de cinq à huit kilomètres dans les lignes ennemies, libérant des villages et capturant des milliers de prisonniers. Les officiers allemands reconnaissent qu’ils ne s’attendaient pas à une utilisation aussi massive des blindés.

Pourtant, tout ne se déroule pas comme prévu. Les chars, encore expérimentaux, souffrent de problèmes mécaniques. Nombre d’entre eux tombent en panne ou s’embourbent dans les fossés antichars. Les équipages, enfermés dans des caisses de fer résonnant sous les obus, endurent des conditions effroyables : chaleur, fumées, bruit assourdissant. En dépit de ces difficultés, l’effet psychologique est énorme : des positions qui auraient résisté pendant des jours sont prises en quelques heures. Les combattants allemands découvrent avec effroi ces monstres d’acier qui avancent implacablement, et beaucoup se rendent plutôt que d’être écrasés. Les nouvelles de la percée de Cambrai se répandent rapidement dans les tranchées et jusqu’à Londres, où l’on s’enthousiasme de cette première victoire technologique.

Après quelques jours, le rythme ralentit. Les Britanniques manquent de réserves fraîches pour exploiter la brèche. L’artillerie allemande se réorganise, pointant désormais ses canons sur les panzers immobiles. Les contre‑attaques commencent le 30 novembre : des troupes bien entraînées, soutenues par de nouvelles tactiques d’infiltration, reprennent une partie du terrain perdu. Les combats se transforment à nouveau en duel d’artillerie et de fantassins. Lorsque le front se stabilise début décembre, les gains territoriaux britanniques sont modestes. L’hécatombe est lourde des deux côtés : environ 45 000 pertes britanniques et 41 000 allemandes. Cambrai reste aux mains de l’ennemi jusqu’en octobre 1918, lors de l’offensive de libération.

Une révolution militaire et ses enseignements

Malgré l’absence de percée stratégique durable, la bataille de Cambrai est considérée comme un tournant majeur dans l’histoire militaire. Pour la première fois, les blindés sont utilisés en masse et intégrés à une opération combinée. Le succès initial montre que des fortifications réputées imprenables peuvent être enfoncées par un mélange intelligent d’artillerie précise, d’infanterie d’assaut et de chars. Cette combinaison annonce les doctrines de la « guerre éclair » qui seront perfectionnées dans les années 1930. Les tactiques déployées à Cambrai démontrent aussi l’importance de la surprise et de la vitesse, ainsi que la nécessité d’avoir des troupes de réserve prêtes à exploiter les brèches.

Pour l’armée britannique, la bataille confirme le potentiel des tanks. Bien que fragiles et parfois défaillants, ils ont prouvé qu’ils pouvaient sauvegarder des vies humaines en ouvrant la voie aux fantassins. L’opinion publique se passionne pour ces machines, baptisées avec des surnoms affectueux par leurs équipages. Les ingénieurs, conscients des limites rencontrées, conçoivent dès lors des modèles plus fiables et plus rapides. Du côté allemand, les leçons sont tout aussi claires : face aux blindés, il faut développer des canons antichars et imaginer des stratégies de défense plus souples. Ainsi, même si le front demeure figé après Cambrai, l’avenir des conflits vient de changer.

Cambrai est également un laboratoire pour l’aviation militaire. Des avions de reconnaissance surveillent les mouvements ennemis et corrigent les tirs d’artillerie en temps réel. Des chasseurs protègent les colonnes de chars contre les avions adverses, tandis que des appareils d’attaque légère mitraillent les tranchées. Cette coopération interarmes préfigure l’appui aérien rapproché qui deviendra essentiel dans les opérations futures. Enfin, la bataille montre qu’aucun secteur du front n’est à l’abri d’une attaque violente ; la notion de « secteur calme » disparaît à jamais. Les soldats comprennent qu’il faut désormais être prêts à réagir en tout point et en tout temps.

La mémoire de Cambrai et la ville aujourd’hui

Pour les habitants de Cambrai, la bataille de 1917 est une cicatrice mais aussi un élément fondateur de la mémoire collective. Après la guerre, des monuments commémoratifs sont érigés dans les villages environnants pour honorer les combattants tombés. Des cimetières militaires alignent les croix blanches sur les prairies du Nord. Chaque année, des cérémonies rassemblent anciens combattants, familles et enfants des écoles pour entretenir le devoir de mémoire. Le nom de Cambrai est associé à l’innovation et au courage, mais aussi à la souffrance des soldats de toutes nationalités qui y ont combattu.

La ville a su transformer cette page douloureuse en atout culturel. Des expositions permanentes et temporaires dans les musées retracent le contexte, les récits individuels et les objets de la bataille. Des parcours de mémoire sont proposés aux visiteurs pour découvrir les sites clés : le cimetière militaire de Louverval, le mémorial Cambrai Memorial à Louverval qui rend hommage aux soldats britanniques disparus, ou encore les champs de bataille de Flesquières où l’on peut voir des vestiges de tranchées. Des reconstitutions et des conférences complètent ces visites. Cambrai accueille également des chercheurs et des passionnés d’histoire militaire lors de colloques internationaux.

En outre, la ville ne se résume plus à sa bataille. Elle est aujourd’hui un centre économique et administratif rayonnant sur le Cambrésis. L’agroalimentaire, le logistique et la métallurgie y jouent un rôle important. Les quartiers récemment rénovés offrent des logements modernes et des espaces verts. Le dynamisme étudiant est porté par un campus universitaire et des écoles spécialisées. Les habitants profitent d’une vie culturelle riche, avec un théâtre, des salles de concerts et des festivals. Cambrai concilie la mémoire de son passé avec l’énergie du présent pour préparer sereinement l’avenir.

Chronologie de la bataille

20 novembre 1917 – Lancement de l’offensive

Au petit matin, les forces britanniques débutent l’assaut sur un front de près de 10 km, avec un appui de 476 chars et un barrage roulant d’artillerie parfaitement chronométré.

21 novembre 1917 – Percée initiale

Les troupes anglaises progressent jusqu’à 8 km en certains points et capturent des milliers de prisonniers. Les premières contre‑attaques allemandes sont repoussées.

23 novembre 1917 – Stagnation et premières pannes

Les chars commencent à manquer de carburant ou tombent en panne. La résistance allemande se renforce autour des points stratégiques et ralentit l’avancée.

30 novembre 1917 – Contre‑attaque allemande

Utilisant des tactiques d’infiltration et soutenues par une artillerie réorganisée, les forces allemandes reprennent une grande partie des gains britanniques.

7 décembre 1917 – Fin des combats

Les deux armées sont épuisées. Le front se stabilise presque à sa position initiale. La bataille a coûté des dizaines de milliers de vies et laisse un enseignement durable.